Comprendre la finance islamique : l’alternative éthique à la banque conventionnelle

Le monde moderne est confronté à des défis sans précédent. Les inégalités économiques continuent de se creuser, non seulement entre les pays, mais aussi au sein même des nations. La faim, continue de tourmenter 700 millions de personnes à travers le globe. Parallèlement, la montée de l’individualisme et la crise environnementale mettent en péril non seulement l’équilibre social, mais aussi l’avenir de notre planète. Face à ces crises multiples, beaucoup se tournent vers des alternatives, à la recherche de systèmes économiques et sociaux plus justes et durables. L’éclosion de la finance éthique, l’intérêt renouvelé pour le marxisme, ou encore les appels à un développement plus durable témoignent de cette quête d’un nouveau modèle.

Mais parmi toutes ces propositions, une vision millénaire pourrait-elle offrir des solutions aux maux de notre temps ? Et si la réponse se trouvait dans les principes de l’islam ? Religion aux multiples facettes, l’islam a, au fil des siècles, apporté une contribution significative à l’humanité, non seulement sur le plan spirituel, mais aussi dans les domaines des sciences, de la pensée et de l’organisation sociale et économique. Cet article explore ces contributions historiques et se penche sur la pertinence de la proposition islamique pour répondre aux défis contemporains, notamment en matière économique. Peut-on envisager l’islam comme une alternative viable pour construire un monde plus juste, solidaire et durable ? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre.

Dollars, symboles de la finance moderne
I. Apports Historiques de l’Islam à l’Humanité

L’islam, depuis sa révélation au VIIe siècle, a profondément marqué l’histoire de l’humanité, non seulement par son message spirituel, mais aussi par ses contributions aux divers champs du savoir et de la pensée. Au-delà de sa dimension religieuse, l’islam a joué un rôle central dans le développement des sciences, de la philosophie, et de l’éthique, influençant des civilisations entières et laissant un héritage durable qui continue de résonner aujourd’hui. Cette religion a apporté une vision du monde basée sur l’unicité de Dieu (Tawhid), structurant une éthique universelle qui a servi de fondement à la création d’une société juste et équilibrée.

1) Le Dogme : L’unicité de Dieu et l’Éthique

L’islam repose sur le concept fondamental du Tawhid, l’unicité de Dieu, qui constitue le cœur de sa théologie et de sa vision du monde. Ce principe ne se limite pas à une simple croyance religieuse, mais établit une relation directe et ininterrompue entre l’homme et le Créateur, libérant ainsi l’humanité des superstitions et des médiations idolâtres. En réaffirmant ce monothéisme pur, l’islam a restauré une vision rationnelle et sacrée de la divinité, redonnant à l’homme son lien authentique avec Dieu. Cette citation du poète romantique français Lamartine exprime mieux que toute autre la révolution spirituelle apportée par l’islam à l’humanité :

“Jamais un homme [Mohammed ﷺ] ne se proposa, volontairement ou involontairement, un but plus sublime, puisque ce but était surhumain : Saper les superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie… […] Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? […] Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes rationnels, d’un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mahomet. À toutes les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand ?”.
Ce dogme du monothéisme pur est la base sur laquelle s’appuient les différents apports de l’islam à l’humanité.

2) Les Sciences : Une Révolution du Savoir

L’âge d’or islamique, s’étendant du VIIIe au XIIIe siècle, a marqué une période de floraison intellectuelle sans précédent, où l’islam a joué un rôle central dans la préservation et l’expansion des connaissances scientifiques. Cette soif de savoir, profondément ancrée dans la culture islamique, était partagée à tous les niveaux de la société : elle était portée par les peuples, inspirée par les élites religieuses, et activement soutenue et encouragée par les pouvoirs en place, notamment les califes et les dirigeants. Ces derniers ont créé des centres de savoir, tels que la Maison de la Sagesse à Bagdad, où les érudits de diverses origines pouvaient travailler ensemble pour traduire, commenter, et développer les savoirs hérités des civilisations grecque, persane, et indienne.

Les contributions des savants musulmans dans divers domaines sont immenses. En mathématiques, Al-Khawarizmi est souvent considéré comme le père de l’algèbre, grâce à son ouvrage Kitab al-Jabr wa-l-Muqabala, qui a introduit des concepts fondamentaux encore enseignés aujourd’hui. Dans le domaine de l’astronomie, des figures comme Al-Biruni et Al-Battani ont apporté des avancées décisives en calculant avec précision les mouvements des corps célestes et en développant des outils et méthodes qui influenceraient plus tard les astronomes européens.

En médecine, Avicenne (Ibn Sina) a compilé et systématisé les connaissances médicales de son temps dans son célèbre “Canon de la médecine”, une œuvre de référence pendant plusieurs siècles en Europe et dans le monde islamique. Cette œuvre intègre les savoirs grecs, persans, et indiens, tout en y apportant des observations et des innovations originales. La contribution d’Ibn al-Haytham en physique et en optique, avec son Kitab al-Manazir, a posé les bases de la science moderne de la lumière, tandis que Jabir Ibn Hayyan a jeté les fondements de la chimie moderne avec ses travaux sur la distillation et d’autres procédés chimiques.

3) La Pensée : Un Foisonnement Intellectuel et Philosophique

L’islam n’a pas seulement apporté des contributions religieuses et scientifiques, mais a également été le berceau d’un riche foisonnement intellectuel et philosophique. Dès les premiers siècles de la civilisation islamique, une diversité de courants de pensée a émergé, souvent en désaccord, mais toujours unis par une quête de compréhension profonde du monde et de la société.

Par exemple, Al-Ghazali, l’un des penseurs les plus influents, a réconcilié la foi islamique avec raison, en intégrant et en critiquant des éléments de la pensée grecque. Son œuvre a orienté la pensée islamique vers une approche mystique et spirituelle tout en développant l’aspect rationnel. Ibn Khaldoun, considéré comme le père de la sociologie et de l’historiographie, a révolutionné la compréhension des dynamiques sociales et politiques, jetant ainsi les bases de la sociologie moderne.

D’autres éminents penseurs tels qu’Averroès (Ibn Rushd), Avicenne (Ibn Sina), Al-Farabi, Al-Kindi, et Ibn Taymiyya ont également marqué l’histoire de la pensée islamique en adoptant des approches parfois opposées. Cette diversité de perspectives, issue des débats entre rationalistes, mystiques, théologiens et juristes, témoigne de la vitalité et de la richesse de la pensée islamique. Ce dialogue intellectuel dynamique a permis à l’islam de s’adapter, d’évoluer, et de répondre aux défis de son temps, tout en laissant un héritage durable dans la philosophie et les sciences humaines.

II. Quelle Proposition Islamique pour le Modèle Économique ?

L’islam ne se limite pas à une dimension spirituelle et éthique, il propose également un cadre économique qui vise à promouvoir la justice, l’équité et la solidarité. Ce modèle, fondé sur des principes religieux et moraux, offre une alternative aux systèmes économiques contemporains souvent critiqués pour leur manque d’éthique et leur tendance à creuser les inégalités.

  1. Les Principes de l’Économie Islamique

Au cœur de l’économie islamique se trouve l’interdiction de l’usure (riba), qui interdit les intérêts abusifs sur les prêts. Cette interdiction vise à prévenir l’exploitation des plus vulnérables et à encourager des transactions équitables basées sur des partenariats plutôt que sur l’endettement. L’économie islamique promeut ainsi un système où les profits et les risques sont partagés, créant des relations commerciales plus justes. En parallèle, l’accent est mis sur la transparence et l’équité dans les affaires. Les transactions doivent être claires et justes, sans ambiguïté ni exploitation, ce qui renforce la confiance entre les acteurs économiques.

  1. La Solidarité Économique

L’islam met également un fort accent sur la solidarité économique, notamment à travers des institutions telles que la Zakat (charité obligatoire) et le Waqf (fondation de bienfaisance). La Zakat est un pilier de l’islam qui impose aux musulmans de redistribuer une partie de leur richesse aux plus démunis, assurant ainsi une répartition plus équitable des ressources et un soutien aux plus vulnérables. Le Waqf, quant à lui, permet de financer des œuvres caritatives, éducatives et sociales à long terme, renforçant la cohésion sociale et la solidarité communautaire. Cette approche économique, fondée sur la fraternité, s’oppose à l’individualisme économique en favorisant une société où le bien-être collectif prime sur les intérêts individuels.

  1. Un Modèle qui a Fait ses Preuves

L’économie islamique ne se limite pas à un idéal théorique ; elle a été appliquée avec succès à plusieurs reprises dans l’histoire, apportant prospérité et stabilité aux sociétés qui l’ont adoptée. Sous les empires omeyyade et abbasside, l’application rigoureuse des principes économiques islamiques a permis de créer des sociétés prospères, où l’éradication de la pauvreté a été atteinte à certaines époques. Cette période est marquée par l’essor du commerce et de l’innovation, favorisé par un cadre économique fondé sur la justice, la solidarité et l’équité.

L’efficacité de ce modèle est également illustrée par la création des premiers hôpitaux publics et universités publiques, financés par des fondations charitables (awqaf). Ces institutions, accessibles à tous, ont non seulement amélioré le bien-être de la population, mais ont aussi contribué au développement du savoir et de la science, faisant de ces sociétés des centres d’excellence et de progrès.

Le commerce, pilier de l’économie islamique, a également joué un rôle crucial dans la diffusion de l’islam. Les commerçants musulmans, connus pour leur honnêteté, leur respect des contrats et leur souci de l’équité, ont gagné le respect des peuples qu’ils rencontraient.

III. Un Modèle Toujours Pertinent ?

L’économie islamique, bien que fondée sur des principes anciens, continue de démontrer sa pertinence dans le monde contemporain. Face aux crises économiques mondiales, aux inégalités croissantes et à la recherche de modèles plus éthiques et durables, la finance islamique se présente comme une alternative viable et respectée.

  1. Développement de la Finance Islamique

Ces dernières décennies, la finance islamique a connu une croissance remarquable, avec l’essor des banques conformes à la charia à travers le monde. Des institutions financières islamiques se sont établies non seulement dans les pays à majorité musulmane, mais aussi dans les grandes places financières internationales comme Londres, Kuala Lumpur, et Dubaï. Les produits financiers islamiques, tels que les sukuk (obligations islamiques), se sont imposés comme des instruments attractifs pour les investisseurs cherchant à allier rentabilité et éthique. Cette expansion témoigne de l’adaptabilité du modèle économique islamique aux exigences du marché moderne, tout en respectant des principes éthiques stricts.

  1. Un Système Viable

La finance islamique a montré sa résilience, notamment lors de la crise financière mondiale de 2008. Contrairement aux institutions financières conventionnelles, les banques islamiques ont été moins affectées par la crise, grâce à l’interdiction du riba (intérêt) et à la prudence inhérente à leur approche. Comme l’a souligné Christine Lagarde, directrice générale du FMI en 2015 :

“La finance islamique peut en principe devenir un facteur de stabilité financière car le partage du risque réduit le ratio d’endettement et les échanges sont adossés à des actifs tangibles donc entièrement garantis.”
Cette citation illustre la manière dont la finance islamique, en partageant les risques et en basant les transactions sur des actifs réels, contribue à une plus grande stabilité financière. Cette capacité à résister aux chocs économiques prouve la viabilité du modèle islamique dans un monde de plus en plus incertain et volatil.

  1. Un Système Plus Égalitaire

L’économie islamique offre également des solutions pour réduire les inégalités économiques. L’interdiction des intérêts (riba) joue un rôle crucial dans cette lutte contre les inégalités, car les intérêts tendent à favoriser l’accumulation de richesse par ceux qui possèdent déjà du capital, tout en augmentant la charge financière sur les emprunteurs, souvent les plus vulnérables. En interdisant les intérêts, l’islam cherche à empêcher ce mécanisme d’exploitation et à promouvoir une répartition plus équitable des richesses. Les principes de justice sociale et de solidarité, incarnés par des pratiques telles que la Zakat et le Waqf, encouragent la redistribution des richesses et le soutien aux plus démunis. En appliquant ces principes à grande échelle, il est possible de réduire les écarts entre les riches et les pauvres, et de promouvoir une société plus équitable.

De plus, l’approche islamique en matière d’économie est étroitement liée au développement durable. Les enseignements islamiques encouragent une utilisation responsable des ressources naturelles, évitant ainsi la surexploitation et la dégradation de l’environnement. Cette vision holistique, qui intègre à la fois le bien-être économique, social et environnemental, est particulièrement pertinente face aux défis du XXIe siècle.

Kuala Lumpur
Conclusion

L’islam, à travers son histoire et ses principes, a apporté des contributions significatives à l’humanité dans les domaines du dogme, des sciences, de la pensée et de l’économie. En réaffirmant l’unicité de Dieu et en structurant une éthique universelle, l’islam a non seulement enrichi la spiritualité humaine, mais a aussi encouragé le développement d’une civilisation prospère et éclairée. Les savants musulmans ont joué un rôle crucial dans la préservation et l’innovation des savoirs, tandis que la pensée islamique, avec sa diversité de courants, a nourri un dialogue intellectuel riche et dynamique.

Aujourd’hui, face aux défis globaux tels que les inégalités croissantes, les crises financières récurrentes et la dégradation de l’environnement, l’économie islamique se présente comme une alternative pertinente et viable. Elle propose un modèle économique fondé sur la justice, la solidarité, et la durabilité, tout en offrant des solutions concrètes pour réduire les inégalités et promouvoir un développement équilibré. La finance islamique, avec son approche éthique et sa résilience démontrée, montre qu’il est possible de concilier rentabilité et valeurs morales.

En réintégrant ces principes dans les politiques économiques et sociales modernes, l’humanité pourrait bénéficier d’un modèle plus équitable, stable et respectueux de l’environnement. Ainsi, la proposition islamique, loin d’être anachronique, offre des réponses innovantes et essentielles aux crises du monde contemporain. Ce modèle mérite d’être exploré et appliqué, non seulement par les sociétés musulmanes, mais par l’ensemble de l’humanité, en quête d’un avenir plus juste et durable.

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