Introduction
Dans l’histoire de l’islam, Bayt Al Mal, littéralement “Maison des Biens” ou “Trésor public”, a joué un rôle central dans l’organisation économique des premiers États musulmans. Cette institution était chargée de la gestion des finances publiques, de la redistribution des richesses et du soutien aux plus démunis, reflétant ainsi les principes de justice sociale chers à l’islam. Cependant, peu connaissent réellement son fonctionnement, son évolution, et son impact sur la société. Cet article explore les origines, les fonctions et l’évolution de Bayt Al Mal, en mettant en lumière son importance historique et ses répercussions sur les pratiques économiques dans les sociétés musulmanes.

I. Origine et Évolution de Bayt Al Mal
- L’Établissement de Bayt Al Mal
Bayt Al Mal a été officiellement établi sous le califat d’Omar ibn al-Khattab, le deuxième calife de l’islam, qui a régné de 634 à 644 après J.-C. La création de cette institution répondait à un besoin urgent de centraliser la gestion des finances publiques dans un État islamique en pleine expansion.
L’expansion rapide de l’État islamique sous les califes a entraîné une augmentation significative des revenus de l’État, provenant des conquêtes, des impôts, et des tributs. Pour gérer ces ressources de manière efficace et équitable, Omar ibn Al Khattab a institué Bayt Al Mal comme un trésor public central. Cette décision a permis de rationaliser la collecte et la distribution des fonds, en assurant que les besoins de la communauté musulmane soient correctement satisfaits.
Les principales sources de revenus de Bayt Al Mal comprenaient :
– La Zakat : Un impôt religieux obligatoire collecté auprès des musulmans pour être redistribué aux plus démunis.
– Le Kharaj : Un impôt foncier prélevé sur les terres conquises, particulièrement celles détenues par des non-musulmans.
– La Jizya : Un impôt payé par les non-musulmans résidant sous la protection de l’État islamique (montant souvent inférieur à la zakat et dont beaucoup étaient exemptés).
– Les butins de guerre : Les richesses prises lors des conquêtes militaires.
– Les revenus des terres publiques : Terres appartenant à l’État et dont les revenus étaient utilisés pour le bien commun.
Bayt Al Mal avait pour mission de centraliser ces revenus et de les redistribuer équitablement, selon les principes de justice sociale de l’islam. Mais cette institution doit impérativement être gérée avec justice et transparence. Un travail important doit être fait dans les pays musulmans pour lutter contre la corruption. Il est rapporté à propos d’Omar Ibn Al Khattab le récit suivant mettant en avant sa probité :
“Ibn Sa’d a rapporté qu’al-Bara’ ibn Macrur a dit qu’un jour, « Omar sortit et se rendit jusqu’au minbar (chair de la mosquée) alors qu’il souffrait d’une maladie. Les bonnes qualités du miel lui furent mentionnées, et il y avait un récipient (fait de peau de chèvre) de miel dans le Bayt al-Mal (trésor public). Il dit : ‘Si vous me donnez la permission, je le prendrai, mais si ce n’est pas le cas, alors il m’est haram (interdit) de le prendre.’ Ils lui donnèrent la permission.”
Source : L’histoire des Califes de l’imam Jalal ad Din as Suyuti
- Fonctions et Rôle de Bayt Al Mal
Bayt Al Mal n’était pas simplement un coffre-fort de l’État ; il jouait un rôle actif dans le développement économique et social de la communauté musulmane.
Bayt Al Mal était responsable de la collecte, de la gestion, et de la redistribution des fonds publics. Cela incluait le financement des infrastructures publiques, telles que les routes, les systèmes d’irrigation, et les mosquées, ainsi que le paiement des fonctionnaires et des soldats. Les fonds étaient également utilisés pour financer des projets sociaux, tels que l’aide aux orphelins et aux veuves.
L’une des missions principales de Bayt Al Mal était de redistribuer les richesses pour réduire les inégalités sociales. Les bénéficiaires des fonds incluaient les pauvres, les indigents, et ceux qui se trouvaient dans des situations de détresse économique. Comme le Coran le mentionne :
إِنَّمَا ٱلصَّدَقَـٰتُ لِلْفُقَرَآءِ وَٱلْمَسَـٰكِينِ وَٱلْعَـٰمِلِينَ عَلَيْهَا وَٱلْمُؤَلَّفَةِ قُلُوبُهُمْ وَفِى ٱلرِّقَابِ وَٱلْغَـٰرِمِينَ وَفِى سَبِيلِ ٱللَّهِ وَٱبْنِ ٱلسَّبِيلِ ۖ فَرِيضَةًۭ مِّنَ ٱللَّهِ ۗ وَٱللَّهُ عَلِيمٌ حَكِيمٌۭ
« L’aumône est réservée aux pauvres, aux nécessiteux, à ceux chargés de la collecter, à ceux dont les cœurs sont à gagner, à l’affranchissement des esclaves et au rachat des captifs, aux musulmans incapables de rembourser leurs dettes, à ceux qui luttent pour la cause d’Allah et aux voyageurs démunis. Voilà ce qu’Allah, Omniscient et infiniment Sage, vous impose. »
Sourate 9 Verset 60
Bayt Al Mal finançait des projets d’infrastructure et de développement, contribuant ainsi à la croissance économique de l’État islamique. Les routes, les systèmes d’irrigation, et d’autres infrastructures publiques étaient essentiels pour soutenir le commerce et l’agriculture, renforçant ainsi l’économie globale de la communauté.

II. Bayt Al Mal et son Impact sur la Société Islamique
- Bayt Al Mal comme Instrument de Justice Sociale
Bayt Al Mal n’était pas simplement un outil financier, mais aussi un instrument de justice sociale.
En redistribuant les richesses collectées, Bayt Al Mal jouait un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté et la marginalisation. En assurant que les richesses ne soient pas concentrées entre les mains d’une minorité, Bayt Al Mal contribuait à l’équité sociale et à la stabilité de la communauté. Les principes de la charia, qui exigent la justice et l’équité, étaient ainsi appliqués de manière concrète dans la gestion des finances publiques.
Bayt Al Mal avait pour mission de soutenir financièrement les plus vulnérables de la société, y compris les orphelins, les veuves, les personnes handicapées, et les voyageurs en détresse. Ce soutien renforçait la solidarité sociale et la cohésion au sein des communautés islamiques, en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte.
السَّاعِي عَلَى الأَرْمَلَةِ وَالْمِسْكِينِ كَالْمُجَاهِدِ فِي سَبِيلِ اللَّهِ، أَوْ كَالَّذِي يَصُومُ النَّهَارَ وَيَقُومُ اللَّيْلَ
Le Prophète ﷺ a dit : “Celui qui prend soin et travaille pour une veuve et une personne pauvre est comme un guerrier combattant dans le sentier d’Allah, ou comme une personne qui jeûne durant la journée et prie toute la nuit.”
Rapporté par Al Bukhari (6006)
- Évolution et Déclin de Bayt Al Mal
Comme toute institution, Bayt Al Mal a connu des phases de développement et de déclin.
Sous les quatre premiers califes, connus sous le nom de Califes bien guidés (Rachidun), Bayt Al Mal s’est développé pour répondre aux besoins croissants de l’État islamique en pleine expansion. La centralisation des finances a permis une gestion efficace et transparente des ressources, contribuant à la prospérité de l’État.
Avec l’affaiblissement des califats et la montée des dynasties locales, l’efficacité et l’intégrité de Bayt Al Mal ont progressivement diminué. La corruption et le manque de transparence ont compromis la gestion des fonds publics. De plus, la fragmentation politique de l’empire islamique a conduit à une décentralisation des finances, réduisant l’efficacité de Bayt Al Mal en tant qu’institution centrale.
Malgré son déclin, les principes de gestion financière publique et de redistribution équitable incarnés par Bayt Al Mal ont laissé un héritage durable. De nombreuses institutions modernes, dans le monde musulman et au-delà, s’inspirent des idéaux de justice sociale et de responsabilité publique établis par Bayt Al Mal. Par exemple, les systèmes modernes de sécurité sociale, de welfare, et même certains aspects de la fiscalité s’inspirent des concepts de redistribution des richesses et de soutien aux démunis prônés par l’islam.
Conclusion
Bayt Al Mal a été une institution centrale dans les premiers États islamiques, jouant un rôle crucial dans la gestion des finances publiques, la redistribution des richesses, et la promotion de la justice sociale. Son modèle a posé les bases de la gestion économique dans les sociétés islamiques et a laissé un héritage durable qui continue d’influencer les pratiques modernes de gouvernance et de fiscalité. À l’ère contemporaine, les principes de Bayt Al Mal offrent des leçons précieuses pour la gestion des finances publiques et la lutte contre les inégalités économiques. Alors que le monde continue de chercher des solutions aux défis économiques et sociaux, les valeurs d’équité, de transparence, et de justice promues par Bayt Al Mal peuvent servir de guide pour construire une société plus juste et solidaire.